Chère Bouillot, Cher Morand,
La première fois que nous nous sommes rencontrés – c’est ainsi que commencent les belles histoires ! -, c’était dans de bien curieuses et suspectes circonstances. Il devait s’agir de ces rassemblements hétérogènes qui, à la fin des années 70, ponctuaient régulièrement le paysage artistique français, que d’aucuns, par une absence totale de discernement, appelaient symposiums de performances et où l’inintérêt le disputait généralement à l’ennui et au manque de talent !
Au fond, nous nous trouvions là, chacun, pour de mauvaises raisons. C’est vrai que vos activités se distinguaient nettement des vagissements et vulgarités qui sévissaient alors dans ces attroupements. Mais à cette époque, il n’y avait manifestement pas pour votre travail d’autres lieux que ceux-là !… Ce qui, dans ce bien triste contexte, m’avait cependant attiré, c’était votre incessant et ironique questionnement sur l’image et le son qui faisait en quelque sorte tache au milieu de cette agitation faussement expressionniste !…
Mais je voudrais parler ici de vos doubles, de ceux qui depuis près de trois ans hantent vos jours et vos nuits : la Bouillot et le Morand, ces artistes bourguignons qui ont de leurs origines gardé le bon sens distancié et l’amour de la cuisine (fût-elle picturale !).
Il y a chez la Bouillot et chez le Morand quelque chose qui les lie au Gilbert et au Georges : un même désir de sortir de l’espace conventionnel de la peinture et de la sculpture, de se mettre en scène, un même affection pour les images et la scène rock…
Les activités de la Bouilllot et du Morand prolifèrent dans tous les sens : projections, actions, sons, lumières, installations, images… cette prolifération n’est pas l’indice d’un quelconque désordre mais la marque exigeante d’une volonté tenace : celle de ne rien privilégier en particulier et de brouiller les pistes artistiques jusqu’ici tracées… La Bouillot et le Morand aiment beaucoup de choses : le cinéma, le rock, la perspective, les anamorphoses, la pêche, la musique classique, le tango… Ils se servent de beaucoup de choses, de photographies, de glace, de paille, de suce, de poules, de pinceaux, de bandes magnétiques, de perceuses, de balançoire, de canne à pêche, de guitare… Ils affectionnent par-dessus tout : enregistrer, photographier, déchirer, projeter, simuler, déformer, coller, fragmenter, stocker, répéter… La scène artistique ne leur suffit pas, la scène musicale ou théâtrale non plus. D’où la construction sur ce territoire hybride, intermédiaire, dont ils sont tour à tour les acteurs, les spectateurs, les ouvriers, les Stars…
Chère Brigitte, cher Jean-Pierre, je pourrais encore parler longtemps de vos doubles, de leurs hybridations, de leurs délires, de leurs errances… Est-ce bien nécessaire ? Les images du livre que vous leur avez consacré parlent d’elles-mêmes.
Bien à Vous.
Bernard Marcadé